L'impression 3D béton

Le 2 juin 2017 L’impressionnante impression 3D

L’impression tridimensionnelle va certainement engendrer dans les années à venir un bouleversement dans notre façon de commercer, de créer ou de construire. L’impact se fera sentir sur la relation entre les producteurs, les vendeurs et les consommateurs. Le bâtiment n’y fera pas exception. Même si elle n’en est qu’à ses balbutiements, cette révolution va complètement modifier notre approche de l’architecture, du bâtiment et jusqu’à nos rapports sociaux.

Et les choses vont à toute allure. La société chinoise Winsun a par exemple réussi la prouesse de construire un immeuble de 5 étages en moins d’une journée, et ce par le biais de la fabrication additive (soit l’impression 3D). Elle a utilisé une machine de 6 mètres de haut, 10 mètres de large et de 40 mètres de longueur. L’imprimante (si tant est que l’on puisse encore utiliser ce terme) ne sort pas de l’encre, mais du béton.

Ce dernier est composé de déchets industriels, de ciment à prise rapide et d'un agent solidifiant, permettant à chaque couche de supporter les couches supérieures.

Tout cela ne se fait pas directement sur place. Les murs sont en effet construits séparément puis assemblés sur site.

Winsun et l'impression 3D

Toujours en Chine, l’entreprise HuaShang Tengda Industry a conçu une villa de 400 m² en 45 jours grâce à l’impression 3D. Cette fois, l’ensemble du bâtiment a été imprimé et assemblé sur site. Comportant 400 m² et un étage, 20 tonnes de béton ont été nécessaire.

HuaShang Tengda Industry a conçu une villa de 400 m² en 45 jours grâce à l’impression 3D.

Autre exemple aussi fou, à Amsterdam, des robots de la société MX3D vont au printemps, faire chauffer du métal à une température de 1 500°C qu’ils souderont ensuite au goutte à goutte, pour imprimer en 3D un pont. Situé sur le canal d’Oudezijds Achterburgwal, le pont sera construit à l’aide de deux robots, possédant des bras rotatifs. Complètement autonome, afin de rejoindre l’autre rive, ils se déplaceront sur leur propre création, c’est-à-dire sur la partie du pont qu’ils viendront tout juste de construire.

Les robots de la société MX3D vont, faire chauffer du métal à une température de 1 500°C qu’ils souderont ensuite au goutte à goutte, pour imprimer en 3D un pont.

L’Espagne a coiffé au poteau les Pays-Bas en inaugurant il y a quelques jours le premier pont en béton réalisé grâce à l’impression 3D, au nord de  Madrid.

L'Espagne a inauguré le premier pont en impression 3D béton.

Croissance à deux chiffres pour la 3D

Selon le cabinet d’études MarketsAndMarkets, les ventes de systèmes et services de fabrication additive, atteindra plus de trente milliards de dollars en 2022, tous secteurs confondus. Xerfi, parle lui, d’une croissance 26 % par an sur les cinq prochaines années pour atteindre 15 milliards de dollars en 2020. La société de conseil Oliver Wyman va encore plus loin et évoque un chiffre d’affaires de 400 milliards de dollars d’ici 2030. Difficile de chiffrer avec précision un marché encore balbutiant, mais une chose est sûre, avec l’amélioration des technologies, l’impression 3D ne fera que prendre de l’ampleur, avec des taux de croissance à deux chiffres pendant plusieurs années.

Pour l’heure, le segment du bâtiment et de l’architecture représente 3.2 % du marché mondial de la fabrication additive. Selon le pôle  interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques (pipame), d’ici cinq ans, il faudra compter sur un grand nombre d’éléments préfabriqués en usine. Pour y parvenir, il sera nécessaire de maîtriser davantage les propriétés du béton, d’accélérer le processus de fabrication en atelier et d’assemblage. Toujours selon la même source, d’ici une douzaine d’années au plus tard, la construction d’habitat se fera directement sur site. Un important travail de recherche et développement doit donc être mené afin que les constructions puissent avoir lieu quelles que soient les conditions climatiques.

On peut comprendre l’engouement tant la technologie 3D, dans le bâtiment, devrait permettre de réduire les coûts de construction. D’une part, elle  permet d’optimiser la structure et ainsi de réaliser des économies de matières. Ensuite, le vieil adage « le temps, c’est de l’argent », trouve ici sa pleine mesure. Nous avons en effet pu constater à travers les projets expliqués ci-dessus, les délais très courts de construction rendue possible par l’impression 3D. Il faut en moyenne une journée de travail d’impression pour réaliser la structure d’une habitation, contre plusieurs semaines pour des ouvriers traditionnels. Le coût diminuera aussi du simple fait d’une nécessité moindre de main-d’œuvre. Une ou deux personnes suffisent à transporter et à faire fonctionner la machine, contre bien davantage sur un chantier contemporain.

Faites place !

Une problématique se pose alors. Si la construction se fait directement sur site, quid de la taille de ces machines qui imprimeront nos futures demeures ? L’exemple de Winsun avec ses imprimantes de 40 mètres de long, ne pourra clairement pas être reproduit en plein centre ville où les terrains constructibles sont considérablement réduits. Une des façons de résoudre ce dilemme, est de développer des systèmes plus légers. C’est par exemple, ce que s’est donné pour mission le « 3D Print Canal House ». Situé à Amsterdam, ce projet prend la forme d’un site d’exposition, de recherche et de construction pour l’architecture en impression 3D. Les chercheurs et ingénieurs réfléchissent et conçoivent depuis maintenant plusieurs années à une imprimante 3D d’une taille raisonnable, capable d’être facilement transportée d’un chantier à un autre.

Dans le même ordre d’idée, début mars, la société russe Apis Cor a révélé la construction d’une maison de 37m² à l’aide à d’une machine, pouvant être transportée et posée sur site, grâce à un camion grue. L’imprimante tourne autour de son axe principal et lui permet « d’imprimer », selon les dires du fabricant, sur une surface de 132 m², grâce à un bras extensible. Outre la petite taille de l’appareil, l’avantage est qu’elle construit l’édifice tout autour d’elle, ce qui engendre un gain de place considérable.

  • XtreeE s'associe à notre partenaire Lafarge pour la réalisation des poteaux et du mur 3D du Concept YRYS.

Plus proche de nous, on retrouve la start-up qui n’en est plus vraiment une XtreeE, un des leaders de l’impression 3D de béton. En septembre dernier, la société en partenariat avec Dassault Systèmes, ABB et LafargeHolcim a été à l’origine du premier bâtiment en Europe construit grâce à une imprimante 3D : un pavillon de 20m² entièrement en béton. Le matériau a d’ailleurs dû être adapté à cette technique de construction et toute une gamme de béton a été développée allant du bas coût au Ductal (marque déposée par Bouygues et Lafarge relative au béton fibré à ultra-hautes performances). "La formulation est clé car le béton doit être suffisamment liquide pour pouvoir être pompé, mais être suffisamment ferme à la sortie du système pour soutenir son propre poids. Le début de prise doit aussi être assez rapide afin de soutenir l'accumulation des couches au cours de l'impression", explique le cimentier. Et pour rassurer sur la marchandise, de continuer : « le béton imprimable présente une solidité importante, égale à celle d'un béton classique de bonne qualité ».

Une autre interrogation que l’on peut se poser est celle liée à la réglementation, à la certification de ce type de process. Les bâtiments construits à partir de ces nouveautés technologiques seront-ils aussi solides que leurs ainés, construits de façon traditionnelle. Pour l’instant, ce n’est clairement pas le cas. Apis Cor par exemple, parle d’une durée de vie de seulement cinquante ans pour sa maison. Loin des standards actuels donc.

A l’inverse, les matériaux utilisés par Xtree « donne lieu à une vérification correspondant aux normes de construction standard afin de garantir la tenue des éléments produits », détaille Romain Duballet, ingénieur au sein de la société. Il s’agit là d’une exception qui devra se généraliser pour que la méthode de fabrication croisse. Car, en effet, dans bien des cas, « le matériau est un mélange de ciment et de déchets de construction faits de béton, de sable et de verre. Et il est sans doute peu conforme à la législation en vigueur dans les pays occidentaux », prévient Thierry Langlois, directeur immobilier de Vivastreet.

Les différents organismes internationaux de normalisations, que ce soit l’Afnor en France ou l’ASTM (American Society of the International Association for Testing and Materials) aux Etats-Unis, pour ne citer qu’eux, travaillent de concert à l’établissement de normes faisant foi au niveau mondial. Comme dans toute relation interétatique, qui imposera sa norme, aura un avantage concurrentiel important sur le marché. Il est donc primordial, que les acteurs français, précurseurs dans le domaine s’investissent dans ce travail de lobbying. Afin d’avoir un aperçu des travaux actuels, l’Afnor regroupe les activités du CEN TC 438, qui évalue les normes existantes au niveau de « l’organisation internationale de normalisation » qui pourraient être adoptées en Europe.

La question du droit y est intimement liée. Si une maison s’écroule, qui incrimine-t-on ? Est-ce le fabricant de la machine, ses utilisateurs, le concepteur du plan, le fournisseur des matériaux ? Cette question de la responsabilité devra être tranchée, pour que les futurs chantiers puissent se dérouler en tranquillité.

Un changement radical pour l’ensemble des acteurs

Et alors, pourquoi ne pas rêver (ou cauchemarder selon les points de vue), comme on l’a vu d’une maison où la place de l’homme dans la construction s’arrêterait à la supervision de la machine et de son œuvre ?

Avant d’en arriver à une telle extrémité, la création de produits et de prototypes deviendra la norme assez rapidement. Le stockage d’outils ou de matières premières ne sera ainsi plus un problème pour les artisans par exemple. L’architecte est également en première ligne. De nouvelles possibilités, formes, design s’offrent à lui. Les limites de l’imagination sont les seuls freins faces aux potentialités offertes. Et puis n’oublions pas les professionnels de la décoration, ou les architectes d’intérieur, qui grâce à l’essor de la 3D pourront davantage encore proposer une hyperpersonnalisation des pièces. Une des conséquences directes est la nécessité pour tous ces acteurs de se former sur les logiciels de DAO et CAO. En effet, l’impression 3D fonctionne à partir d’un modèle numérique conçu grâce à un logiciel CAO. « Ce modèle est "découpé en tranches" ; l’imprimante vient ensuite déposer de la matière couche par couche jusqu’à obtenir l’objet réel. Suivant la technologie, la matière de base se présente sous forme liquide, filaire ou de poudre », explique Pierrick Secher, responsable du Pôle d’Innovation Transformation des Métaux (PITM) à Niort.

Ces machines vont également modifier les méthodes mêmes de conception du bâtiment. L’ordre dans lequel s’effectuent les travaux actuellement pourrait être bouleversé. Par exemple le pavillon d’XtreeE a été construit en deux étapes. D’abord les parois (fabriqué d’un bloc), puis le toit, qui a été imprimé à plat. On peut imaginer des modules qui viendront s’ajouter à des bâtiments déjà existant.

D’autres projets ont déjà cours, à une échelle tout autre que celle du « simple » bâtiment. Une entreprise italienne a comme projet de construire un petit village, grâce à une imprimante 3D de 12 mètres de haut ! Malgré ce gigantisme, la société Wasp (World’s Advanced Saving Project) derrière ce projet grandiloquent, garde pourtant les pieds bien ancrés sur terre et dans la vie locale. Créée en 2012, elle s’est donnée l’objectif de « réaliser des maisons à partir de matériaux sourcés localement avec des coûts de mise en œuvre quasi-nuls », selon les dires de son CEO, Massimo Moretti. Pour l’instant, le village au nom mythique de « Shambhala » prend corps avec une maison aux « coûts quasi-inexistants et réalisée à partir de matériaux trouvés sur place » (à Massa Lombarda, ville située dans la province de Ravenne en Italie). A cela vient s’ajouter un jardin vertical pour une culture hydroponique et un laboratoire contenant des imprimantes 3D compactes qui seront utilisées pour créer divers objets. Tout le principe repose sur la réplicabilité de ce village. Shambhala tient au départ dans un conteneur, transportable dans le monde entier et renfermant tout ce qui est nécessaire à sa construction. L’environnement fait le reste.

Un grand pouvoir implique de grande responsabilité

Qu’on la veuille ou non, la fabrication additive révolutionne le marché. Outre les changements dans la façon de travailler des professionnels du secteur, le coût de la construction devrait chuter plus que jamais. Si l’on envisage la technologie sur le très long terme, la cartographie des acteurs telle que nous la connaissons aujourd’hui pourrait se voir modifiée du tout au tout. Imaginons : deux acteurs pourraient être sacrés roi et prince de l’impression 3D et donc du bâtiment dans son ensemble. Les fabricants des imprimantes (accompagnés des transformateur des matières premières) et les « dessinateurs », les nouveaux architectes, qui proposeraient leur plan, comme on choisit un livre sur Amazon. Le DIYer, le particulier sera ainsi au centre de l’attention. « Grâce à la fabrication additive, l’individu a la possibilité de produire ce dont il a besoin. Le modèle […] peut être exporté n’importe où et particulièrement là où il n’y a pas les infrastructures suffisantes », explique M. Moretti. En conséquence, la frontière bien délimitée entre une production artisanale et industrielle ne sera bientôt plus aussi claire.

Nous avons évoqué la très probable perte d’emplois dans le secteur du bâtiment que ce nouveau procédé entraînera. Est-ce une fatalité et même est-ce une si mauvaise chose ? En l’état où posséder un emploi est une condition, pour vivre dignement, cela peut paraître évident. Mais justement, ce changement doit nous interroger sur le modèle de société que nous souhaitons et sur les conséquences que les nouvelles technologies entraînent sur notre rapport au travail et plus largement sur nos vies. C’est à tout à chacun de s’emparer de ce sujet : citoyens, entreprises, Etat… L’impression 3D est là. Reste à notre société à l’intégrer au mieux pour le bien être de l’Homme.

Zoom sur les types d’impression 3D pour le bâtiment

Pour l’impression 3D, les technologies de fabrication 3 axes sont les plus couramment usitées. La plus connue (celle que nous avons citée tout au long de cet article), est la fabrication additive ou ALM pour Additive Layer Manufacturing. Selon la norme ASTM, il s’agit d’un « processus d'assemblage de matériaux pour fabriquer des objets à partir des données du modèle 3D, le plus souvent couche après couche, par opposition aux méthodes de fabrication soustractive ».

La société Xtree, travaille avec du béton et de l’argile pour faire des moules perdus : coule du béton à l’intérieur, puis l’argile est dissout à l’eau. Il y a changement de phase par réaction chimique. Le béton très liquide passe dans les systèmes et quand il sort est ajouté un produit augmentant sa viscosité.

Des chercheurs de l’université Cornell ont mis au point PolyBricks. Le système est basé sur des composants en céramique, sans besoin de mortier. Ils utilisent « une imprimante à jet d’encre et une poudre qu’ils ont élaborée puis des procédés de cuisson pour les pièces sorties de l’imprimante ».

Le professeur Iranien Behrokh Khoshnevis et son équipe ont travaillé sur une imprimante capable de concevoir des maisons en un seul bloc, avec les tuyaux de plomberie et le système électrique compris : le « Contour crafting ». Ici, « un matériau à prise rapide tels qu'un béton de sable et ciment utilisé avec un « accélérateur de prise » forme - couche par couche - les murs et certains éléments d'une maison, jusqu’aux planchers, plafonds et toiture mis en place par le portique ou une grue. Les vides nécessaires à l'insertion d'éléments de plomberie, câblage électrique et informatique, aération ou matériaux isolants sont prévus en amont dans le plan informatisé, mais le robot et son portique peuvent théoriquement aussi installer des tuyaux ou certains éléments secondaires de la structure ».

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