Le 2 août 2017 La transition énergétique à l’heure du smart-grid

Afin d’assurer le bon fonctionnement d’un bâtiment, il est nécessaire de lui apporter suffisamment d’énergie.

Il doit faire face notamment à toutes les sollicitations électriques provoquées par ses occupants. Pour que tout fonctionne au niveau du réseau électrique, il est nécessaire que la production d’électricité soit équivalente à la consommation, et ce à tout instant. La majorité du temps, cela ne pose pas de souci, mais tous les jours de la semaine arrive l’heure fatidique de 19h.

Et à cet instant tout bascule : la France entière rentre chez elle, à son domicile. Chacun allume les lumières, son poste de télévision, son ordinateur, ses plaques électriques, fait éventuellement une machine à laver ou prend une douche chaude…

Afin d’éviter un black-out d’une partie du territoire, le réseau est dimensionné pour répondre à ce pic de consommation, c’est-à-dire surdimensionné pour le restant de la journée. Et cela ne va pas en s’arrangeant, puisque la demande de pointe hivernale est depuis 1996 beaucoup plus rapide que la demande en base. Alors qu’en 2001 le pic de consommation était de 79 590 MW, contre 102 098 MW en 2012 ! Le réseau doit donc aussi s’adapter en fonction.

C’est qu’il s’agirait d’éviter de célèbres black-out qui ont pu avoir lieu aux Etats-Unis par exemple. La dernière panne majeure remonte à 2003. La mégapanne s’est produite le 14 août à 16h13. A l’origine, la société FirstEnergy, qui produit, transporte et distribue l’électricité, a dû suite à divers négligences, arrêter des centrales électriques les 12 et 13 août, dans l’Etat de l’Ohio. La panne s’étend très rapidement sur 256 centrales électriques. Au final, Manhattan, Détroit, Cleveland, Rochester, Ottawa ou Toronto se retrouvent dans le noir. D’après les estimations, cinquante millions de personnes ont été touchées. Certaines études ont mis en évidence que le réseau nord américain est relativement vétuste et obsolète.

La véritable cause de ce phénomène vient du réseau américain. D’après une étude de l’école polytechnique de Lausanne, « depuis deux décennies, les investissements dans les infrastructures avaient fortement diminué alors que parallèlement la charge et les transits de puissance n'ont cessé de croître ». Eté oblige, De nombreux climatiseurs fonctionnaient ce jour-là ; De grands réseaux d’électricité du Midwest ont fortement sous-estimé leurs prévisions de la demande les jours précédents. Ces prévisions permettent d’augmenter ou diminuer la production et l’achat de courant en conséquence. Le groupe de travail Etas-Unis-Canada en charge de l’enquête a notamment établis, parmi toutes les causes de ce black-out, « le défaut de reconnaître l’urgence de la situation et de communiquer cette information aux réseaux voisins ». Une des raisons d’exister du smart-grid.

Les pics de consommation ne sont pas l’apanage des pays Nord-Américains. Même si nous n’avons pas connu de black-out dû à une consommation excessive, nous ne sommes par exemple pas passé loin lors de certains événements. Par exemple, à la mi-temps de la finale de la coupe du monde 1998, la consommation a augmenté de façon très forte et très brève. Plus traditionnellement, les pics de consommations en France ont lieu lors d’hiver plus rude que d’autres. Nous pouvons prendre l’exemple de l’hiver 2012 ou plus récemment de janvier 2017. [Il est d’ailleurs possible d’accéder à l’historique des consommations journalières, hebdomadaires ou annuelles sur le site de RTE. Il est également possible de la voir en continue. Une analyse mensuelle de la consommation et des faits marquants est également réalisée. La marge de production d’électricité a également diminuée au cours de ces dernières années, avec l’arrêt de 5 réacteurs nucléaires (sur 58 disponibles) et la fermeture de près de 9 GW de centrales à charbon et à fioul.

Nous avons donc moins de moyens de production pour répondre à la demande. Pour en comprendre les impacts, il est nécessaire de savoir que l’ordre dans lequel les moyens de production sont sollicités, est de nature économique. C’est-à-dire que les centrales les moins onéreuses sont d’abord sollicitées, pour arriver en dernier lieu aux centrales les plus onéreuses. Donc dans l’ordre, sont utilisés l’énergie hydraulique, éolienne, le nucléaire, les centrales à gaz et à charbon, et les centrales au fioul (aussi appelé centrale de pointe, car elles sont utilisées pour répondre aux pics importants).

C’est donc sur le fioul que l’impact d’une diminution des pics et donc la mise en place de réseau intelligent sera le plus efficace. Enfin, en période de pointe, la France importe de l’électricité, notre réseau étant interconnecté à celui des pays voisins. Ainsi en 2016, « la production thermique à combustible fossile est en augmentation constante depuis mai 2016. Elle atteint un nouveau niveau record depuis février 2012 à 8,3 TWh ». Sur la même année, un nouveau record d’énergie importée a été établi, avec 0.95 TWh (il s’agit du solde importateur le plus élevé depuis janvier 1980).

Son « intelligence » permet au réseau d’évoluer en temps réel en fonction de la consommation et de la production et ainsi de réduire les coûts, puisque les sources les plus coûteuses ne seront pas utilisées !

Afin de résoudre cette problématique, il est nécessaire de lisser ces consommations tout au long de la journée. C’est là où le smart-grid intervient. Aussi appelé réseau intelligent, il introduit les TIC (technologies de l’information et de la communication), au sein du réseau électrique. Son objectif est de permettre la diminution et le lissage des consommations des ménages, tout en facilitant l’intégration des énergies renouvelables au mix électrique. Il doit également permettre de mieux comprendre la demande, voire de l’anticiper, en ayant une meilleure connaissance du réseau. Par exemple, les données générées par le smart-grid pourront servir aux collectivités, dans le but d’affiner et de piloter plus efficacement la politique énergétique locale.

Nous ne parlons pas là d’un futur lointain, mais d’un présent on ne peut plus prégnant. De nombreux territoires tests et démonstrateurs ont déjà été mis en place à travers l’hexagone. A l’échelle du quartier, de la région, en passant par la ville et le département, des smart-grids fleurissent un peu partout.

L’Ouest a le sourire

GreenLys fut un projet pionnier des réseaux intelligents. Il impliquait sur Grenoble et Lyon 400 citoyens et de grandes sociétés et instituts, comme ERDF, Engie, Schneider, CNRS-EDDEN, RTE… Il a permis de mai 2012 à avril 2016 de tester pour la première en France et en grandeur réelle un smart-grid. Un des objectifs de cette expérimentation était d’aboutir au plus grand nombre d’effacements possible. L’effacement est l’ « action visant à baisser temporairement, sur sollicitation ponctuelle […] par un opérateur d’effacement, le niveau de soutirage effectif d’électricité ». Il s’agit donc d’encourager le consommateur à reporter sa consommation d’électricité. 59 000 effacements environ ont été réalisés durant la période de test. Selon le bilan, cette méthode est intéressante pour les producteurs surtout si elle est appliquée au secteur tertiaire. Elle permet un lissage de la production, mais sans baisse de la consommation pour autant (celle-ci étant lissée tout au long de la journée, grâce notamment à une meilleure gestion des équipements pilotables à distance).

Autre exemple en cours cette fois, en Bretagne et Pays de la Loire, le projet « Smile » a vu le jour. L’acronyme de « Smart Ideas to Link Energies ». 160 partenaires publics et privés sont impliqués dans cette coopération interrégionale. 260 millions d’euros vont être investis dès cette année et pendant trois ans. L’objectif est d’y construire mille bâtiments à énergie positive, mille bornes publiques de recharge pour les véhicules électriques et deux milles points lumineux intelligents (s’adaptant en fonction de la présence au non de personnes). De plus, grâce à leur partenariat avec RTE (Réseau de transport d’électricité), 30 millions d’euros vont être investis dans le déploiement d’ici 2020 de quatre postes électriques « nouvelles générations ». Concrètement, ces derniers seront dotés de capteurs numériques qui enregistreront une multitude de données, comme la température extérieure, la vitesse du vent, le taux d’ensoleillement, etc. « Il y a toujours du vent quelque part. Encore faut-il savoir où », sourit François Brottes, patron de RTE. « En cas de coupure, on va pouvoir localiser très rapidement un défaut qui survient sur notre réseau », explique Carole Pitou-Agudo, déléguée régionale de RTE dans l’Ouest. Cela va « nous permettre de gagner en flexibilité », pour pouvoir « accueillir jusqu’à 30 % d’énergie renouvelable complémentaire ». Si le grand Ouest a été choisi, ce n’est pas un pur hasard, la Bretagne n’a produit que 15 % de l’électricité qu’elle a consommée en 2015. En dix ans, la Région a gagné 200 000 nouveaux habitants, et a vu sa demande en électricité progressée de 12 % (contre +3.3 % en France). On voit bien ici, l’urgence et la nécessité de sécuriser ce réseau électrique.

Ce système devrait être mis en place à d’autres endroits du territoire. La prochaine zone concernée devrait être la région PACA, où le réseau électrique local est peu connecté avec le reste du réseau français, ce qui en fait une zone particulièrement à risque.

A la pointe de la technologie

Afin de répondre à la demande de pilotage, de surveillance et de détection des pannes et autres défauts, les industriels recherchent et développent un grand nombre de nouvelles solutions, qui s’intègrent au réseau et aux bâtiments. Par exemple, Schneider, a lancé son Easergy T3000. Derrière ce nom de Terminator se cache un appareil permettant de contrôler la production locale d’énergie, de minimiser l’appel aux réseaux énergétiques et de mieux échanger les ressources. En cas de problèmes, il peut directement réparer les capteurs, et à distance quand cela est possible.

De son côté, ControlSys, PME des Yvelines, a créé BESS (Buffer Energy Storage System), un « système de stockage d’énergie intelligent destiné aux nouvelles technologies de transport et de fourniture d’énergie électrique ». De son côté, le géant américain Tesla, propose déjà des batteries pour maisons individuelles. Il est dès lors possible de stocker l’énergie produite la journée pour la redistribuer le soir, lors du fameux pic de consommation. On peut également citer les thermostats intelligents, comme ceux de Nest et Qivivo. Ces derniers règlent automatiquement la température des locaux, en fonction du comportement des usagers et du prix de l’électricité.

Parmi les nouvelles technologies, celle de la blockchain va prochainement être utilisée dans un projet mené par Bouygues Immobilier à Lyon Confluence. Pour mémoire, la blockchain est la technologie qui se cache derrière la monnaie cryptographique bitcoin. Il s’agit d’une « technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle ». Schématiquement, on peut représenter le procédé comme un grand livre de comptes hébergé par l’ensemble des utilisateurs. Elle permettra à Bouygues de contrôler de façon collective un smart grid en s’assurant que l’énergie produite localement sera consommée localement. « Il existe des procédés fournissant la proportion d’énergie verte dans l’électricité livrée au consommateur. Mais rien jusqu'ici pour en identifier l’origine de production », explique Olivier Sellès, responsable innovation énergie et Smart Grids chez Bouygues Immobilier. En clair, les différents acteurs pourront échanger instantanément des crédits énergétiques et toute l’énergie produite mais non consommée sera vendue sans intermédiaire à des voisins.

Autoproduction, implication et individualisation

On le voit, les smart-grids (avec ou sans blockchain) ont pour but de donner un véritable coup de boost à l’autoproduction énergétique, d’autant que la loi du 24 février 2017 la favorise grandement. Dorénavant, l’autoconsommation peut être totale ou partielle, individuelle ou collective, à l’échelle d’une construction, d’une copropriété ou d’un quartier.

L’autre aspect bénéfique du smart-grid et qui pourra aider à la transition énergétique est l’implication de l’usager, par le biais d’informations sur sa consommation. Pour l’instant l’ensemble des démonstrateurs tentent d’impliquer le particulier, lui faisant espérer une baisse de consommation et donc une baisse de sa facture d’énergie. Pour autant, cette façon de procéder se heurte à plusieurs obstacles. Un des plus importants est certainement lié au comportement humain. En effet, l’homme n’est pas un Homo oeconomicus pur et parfait ! Donc, malgré la promesse d’une baisse de coût, l’usager ne va pas forcément modifier son comportement si cela devient trop contraignant pour lui.

L’autre frein fortement lié au précédent est le très faible gain que l’utilisateur peut constater, même en faisant attention. L’effacement ne permet pas, en effet, une baisse significative des charges pour le consommateur. Pour nombre d’experts, il vaut mieux travailler sur le mode de chauffage, l’isolation, le changement de menuiseries. D’autant que cela implique davantage les usagers, qui y voient un intérêt immédiat ; et cela aidera grandement le réseau, car la consommation diminuera d’autant.

Il devient donc impératif de concevoir un smart-grid à l’aune des problématiques et de la façon de vivre des usagers. Le facteur humain qui est jusqu’à maintenant presque oublié des concepteurs de projets est pourtant primordial dans la réussite du smart-grid. Il faut l’intégrer dans la vie quotidienne de chacun. L’individualisation de la facturation et le paiement de ce que l’on a effectivement consommé (et non plus basé sur un abonnement aux mensualités identiques tout au long de l’année), est une des méthodes (techniquement) envisageables (via notamment le compteur Linky). Pour autant, les parlementaires devront jouer leurs rôles et imposer des garde-fous, afin que personne ne soit privé d’électricité pour des raisons budgétaires. Et ainsi empêcher un système à l’anglaise où « des compteurs électriques à prépaiement ont été déployés à la demande de propriétaires qui louaient leur appartement. L’utilisateur créditait son compte et consommait ensuite l’électricité achetée ». Bref, cela serait bénéfique pour tout le monde d’éviter de se retrouver dans une société semblable à celle des Etats-Unis de l’ouvrage de Philip K.Dick, Ubik, où le particulier doit payer à chaque fois qu’il souhaite faire du café, ouvrir le réfrigérateur ou prendre une douche !

L’autre barrière vient de la structuration du marché tel qu’il est actuellement. Le plus grand opérateur ayant le plus de possibilité de promouvoir la transition énergétique, l’autoconsommation et le smart-grid, EDF, est contraint de « faire de la pédagogie sur des dynamiques qui pourraient provoquer sa chute », ironise un rapport du PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture) de mars 2016. « Il n’est pas évident, pour une grande entreprise, d’inciter ses clients à moins consommer le produit qu’elle commercialise ». Car oui, n’oublions pas qu’EDF est un producteur centralisé d’électricité d’origine nucléaire. Cette stratégie va donc à l’opposé de l’autoconsommation et des énergies renouvelables que sont l’éolien et le photovoltaïque notamment. Le chef du département numérique de la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies (FNCCR), Jean-Luc Sallaberry en fait le constat : « Ceux qui travaillent dedans veulent leur survie. Ils mobilisent l’argumentaire de leur survie. […] ». Certes, EDF s’impliquent dans divers projets liés aux smart-grids et aux énergies renouvelables (Construction du plus grand système de batterie d’Europe au Royaume-Uni ; Projet visant à développer de nouvelles solutions de stockage d’énergie dédiées aux smart grids ; Inauguration du plus grand parc solaire du monde au Chili), mais les choses bougent relativement peu vite sur le territoire national. Les chiffres sont parlants, l'autoproduction d'électricité dans la consommation totale d'électricité n'est que de 4,2% en France, contre 8% en Allemagne, 12,9% au Royaume-Uni et 13,2% en Espagne.

Décloisonner et décentraliser semble être une condition sine qua none à la réussite de la transition énergétique et du smart-grid. Divers associations ou entreprises s’y emploient, à l’image d’Energie Partagée. Cette dernière investit sous forme de prise de participation, dans des projets d’énergie verte développés sur un territoire donné. Elle va pour cela sensibiliser les collectivités locales, animer un réseau, collecter les fonds nécessaire à la réalisation d’un projet et accompagner les porteurs de ce dernier. Il s’agit là de remettre le territoire et l’humain au centre du jeu. Cela ne pourra se faire sans une législation appropriée. Toute pimpante qu’elle est, la loi de transition énergétique pour la croissance verte ne prévoit aucune articulation entre les régions, « que ce soit pour le bilan carbone, la programmation pluriannuelle de l'énergie ou la planification au niveau national », explique Géraud Guibert, Président de la Fabrique Ecologique. Les collectivités locales n’ont pas encore « les moyens et humains et financiers, pour intervenir à plus grande échelle ».

Conséquences et répercussions

Outre les collectivités, le smart-grid et son développement vont avoir des répercussions sur l’ensemble des acteurs gravitant autour de l’énergie, à savoir : les producteurs, transporteurs, distributeurs, fournisseurs d’électricité, les fabrications d’équipements électriques et numérique, les spécialistes de l’énergie éolienne, photovoltaïque, du stockage (électricité, hydrogène…).

Le marché de l’énergie étant maintenant ouvert à la concurrence, les opérateurs grâce au smart-grid, et aux multitudes de données créées, vont pouvoir en profiter pour proposer des offres commerciales adaptées à la consommation (des ménages ou des collectivités). La question des données, de leurs appartenances et de leurs usages sont ici un enjeu de pouvoir. Et certains, ont déjà pris une longueur d’avance. Enedis (ex ERDF), est en train d’installer les compteurs Linky. Il va donc avoir un accès privilégié et détaillé aux consommations électriques de toute la population française.

Selon un rapport du centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), il va être nécessaire de renforcer les enseignements  sur le fonctionnement du réseau électrique dans toutes les formations. Au même niveau que des cours de mathématiques ou de physique, posséder un minimum de connaissances sur les réseaux électriques intelligents sera indispensable pour comprendre le monde (le pays) dans lequel nous vivons. De plus, nous pourrions assister à la fin de l’hyperspécialisation. En effet le « déploiement des Réseaux Electriques Intelligents implique de former des salariés multi‐compétents », à la fois sur l’énergie, l’électronique et l’informatique. »[1] Car oui, comment être efficace, en ne maitrisant qu’un seul maillon de la chaîne ? Bien sûr, il ne s’agit pas de créer des êtres aux capacités et à la science infuse, mais bien de « développer des formations complémentaires », ou de « mettre en place des équipes aux compétences multiples ».

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